Ah, voici une vaste question, à
laquelle il nest pas facile de répondre brièvement. Il faut en effet pour cela se
demander dans un premier temps ce quest exactement une science, ce qui implique une
assez longue discussion épistémologique concernant les critères de scientificité. A
partir de là, il sera possible davoir une idée plus précise sur le sujet, que
nous pourrons appliquer à léconomie.
Guide de lecture : si vous arrivez sur cette page en connaissant déjà les principaux
aspects de la méthodologie économique (que Popper, Kuhn et Lakatos nont pas de
secrets pour vous) vous pouvez vous dispenser du début du document. Cependant, je vous
recommande la partie consacrée à
Feyerabend, auteur fort mal
présenté par les ouvrages classiques en méthodologie économique. Si vous connaissez
également bien Feyerabend, attaquez directement
ici.
Si vous ne connaissez pas ces aspects, ou que vous avez besoin de
rappels, commencez la lecture du début. Ne soyez pas surpris quon ne parle que peu
déconomie et beaucoup dautres sciences dans cette première partie de texte,
car les principaux auteurs en épistémologie nont que peu abordé celle-ci.
Léconomie arrivera ensuite.
1- Et déjà, cest quoi, une science? la définition Poperrienne de la scientificité
Poser cette question, à la base, ne va pas de soi. Il faut voir en effet que les interrogations sur ce
quest une science sont assez récentes. Pendant très longtemps, la question de
distinguer parmi les connaissances humaines celles qui relevaient de la science et celles
qui sont non scientifiques ne se posait pas. On ne réfléchissait que sur un seul champ,
les connaissances, et les différents moyens de les améliorer. Cela ne posait par exemple
aucun problème à Newton de publier des textes de physique, dastrologie, voire
même déconomie! il ne se posait pas la question de la scientificité relative des
sujets quil étudiait. Si lon veut chercher les premières réflexions
organisées sur la scientificité, il faut se porter au XIXème siècle avec le
positivisme dAuguste Comte. La question qui se posait alors était celle de la
validité des théories scientifiques. Pour cela, la réponse initialement apportée a
été celle dite du
vérificationnisme. une théorie est en effet un corps
dhypothèses conduisant de façon logique à des conclusions, donnant lieu à des
prédictions. Dans cette optique, vérifier une théorie, cest vérifier par le
biais dexpériences que dans la réalité, les conclusions de la théorie se
vérifient. Si les prévisions de la théorie ne se vérifient pas, alors elle nest
pas bonne et doit être modifiée; si elles se vérifient, alors on considérera la
théorie comme juste.
Cependant, le vérificationnisme nest pas très satisfaisant.
Cest Karl Popper, dans "conjectures et réfutations" qui a montré que le
vérificationnisme comporte une faute logique, à partir du célèbre exemple des cygnes
blancs et noirs. Considérons une théorie zoologique aboutissant à la conclusion selon
laquelle tous les cygnes sont blancs. En effectuant une promenade au bord dun lac,
on voit des cygnes et on constate quils sont tous blancs. Faut-il en conclure que la
théorie affirmant que tous les cygnes sont blancs est vraie? Certainement pas. Il est
tout à fait possible que sur un autre lac, dans un autre pays, on trouve des cygnes dont
le plumage est noir. Pour que lexpérience puisse valider la théorie, il faudrait
faire linventaire de tous les cygnes du monde et vérifier quils sont tous
blancs. Et même cela ne serait pas suffisant! il faudrait en sus vérifier cela sur les
cygnes qui nexistent pas encore parce quils ne sont pas nés, ou sur les
cygnes morts (qui sait, peut-être que les cygnes des égyptiens étaient noirs). Il
suffit en effet quil y ait, ou quil y ait eu, un cygne noir pour que toute la
théorie tombe par terre. Or, il nest pas possible de procéder à la vérification
pour tous les animaux. De ce fait, le vérificationnisme ne saurait prouver quoi que ce
soit. Il nest pas possible de démontrer par lexpérience quune théorie
est vraie lexpérience ne permet que dinfirmer une théorie, cest à
dire de prouver quelle est fausse.
Popper utilise alors ce constat pour différencier science et non
science. Ce qui caractérise une science, cest précisément le fait quelle
utilise lexpérience pour la réfutation des théories. Une discipline, pour être
scientifique, se doit dexprimer des théories
réfutables, cest à dire
des théories qui permettent daffirmer "si tel évènement se réalise, alors
la théorie est fausse". Par ailleurs, lévolution de cette discipline doit se
conformer au critère de réfutation cela signifie quune théorie qui a été
réfutée par lexpérience se doit dêtre abandonnée. Dans cette conception,
la physique est une science, mais lastrologie ne lest pas. En effet, un
physicien qui formule une théorie et constate quelle nest pas vérifiée par
lexpérience labandonne. Par contre, un astrologue sarrange toujours
pour formuler ses prédictions dans le sens "face je gagne, pile tu perds" (du
genre, la lune en poissons va vous rendre irritable, ce qui est impossible à réfuter, vu
quil est rare quon ne sénerve pas un peu dans une journée) ce qui lui
permet de toujours éviter de remettre en question ses théories.
Le critère poppérien de scientificité a eu un énorme succès. Les
praticiens des sciences "dures" lont trouvé très satisfaisants
dautant plus facilement quil les consacrait comme sciences. Léconomie
la aussi adopté, parce que ce critère lui permettait de séloigner des
sciences "molles" cest à dire des autres sciences sociales, pour se
considérer comme plus scientifique. En effet, les économistes utilisent des modèles
logiques, hypothético-déductifs, qui permettent dénoncer des prédictions qui
peuvent être soumises à la mesure et à lexpérience. Pendant les années 50, ou
le développement des techniques quantitatives et limportance de la théorie de
léquilibre général conduisaient les économistes à se rapprocher par
lusage des modèles mathématiques des sciences dures, le critère de Popper venait
à point nommé pour que les économistes se disent quainsi, ils devenaient des
scientifiques, pas des rigolos. Mark Blaug, auteur de louvrage de méthodologie
économique de référence, a consacré ainsi le critère de Popper comme le seul critère
valide, le critère qui devait être utilisé par les économistes pour progresser.
2- La critique de Popper Kuhn, Lakatos, et Feyerabend.
Le critère de Popper a
plusieurs qualités. La première, cest sa grande cohérence logique; Il est en
effet impossible dun point de vue de logique interne de critiquer ce critère. La
seconde, qui nest pas la moindre mais qui est souvent oubliée, cest
quil met les théories scientifiques à une place plus juste. Popper nous rappelle
en effet que les théories scientifiques ne sont pas vraies elles ne sont que des
représentations de la réalité, des façons de lappréhender, et sont toujours en
sursis, considérées comme vraies que dans la mesure ou on na pas trouvé de
contre-exemple permettant de les infirmer. Loin de mettre les théories scientifiques sur
un piédestal, il nous rappelle que nos connaissances sont toujours relatives, et
quil ne saurait y avoir de vérité scientifique définitive. Cest donc
plutôt un critère incitant à la modestie scientifique.
Cependant, la recherche sur les sciences ne sarrête pas à
Popper. Il convient de citer ici trois autres auteurs majeurs du XXème siècle en la
matière, Kuhn, Lakatos et Feyerabend. Kuhn, dans "la logique de la découverte
scientifique" sest intéressé à la façon dont les sciences évoluaient
vraiment. Cela la amené à prendre en compte lattitude des scientifiques, qui
nest pas toujours aussi rationnelle que le sous-entend Popper. Kuhn distingue en
effet la science "normale" et les "découvertes scientifiques". Selon
Kuhn, chaque science est caractérisée à un moment donné par un
paradigme
dominant. Lécrasante majorité des scientifiques saccordent autour de ce
paradigme, et leurs recherches sinscrivent dans celui-ci. Mais il arrive quun
nouveau paradigme apparaisse. Celui-ci est dabord mené par une minorité de
scientifiques qui sopposent au paradigme dominant, finissent par remporter la lutte
intellectuelle, et leur paradigme devient le nouveau paradigme dominant, la nouvelle
science normale. On peut lire avec cette grille de lecture la façon dont
lhéliocentrisme sest imposé à lépoque de Copernic et Galilée, ou
dont la physique einsteinienne a remplacé le modèle de Newton. On remarquera que
lapproche de Kuhn nest pas totalement incompatible avec celle de Popper le
changement de paradigme peut tout à fait être dicté par la réfutation du paradigme
ancien. Cependant, lanalyse de Kuhn montre que ce processus nest pas aussi
rationnel que le prétend Popper, quil est le résultat de luttes dinfluence,
de convictions, de chocs des générations, et que tous les scientifiques ne se conforment
pas instantanément au nouveau paradigme même si celui-ci est meilleur (au sens popperien
du terme) que le précédent.
Lakatos a lui développé le concept de
programme de recherche
scientifique (PRS). Un PRS se compose dun coeur théorique, un ensemble
dhypothèses de base, à partir duquel sont élaborées des théories qui se
rattachent à ce programme. En économie, on pourrait qualifier de PRS léconomie
néoclassique. A partir dun coeur dhypothèses (rationalité, équilibre) on
définit différents modèles (équilibre général, modèles de croissance à agent
représentatif...) qui se rattachent tous au même courant. La physique newtonienne est
elle aussi un bon candidat. A partir des principes de Newton, on élabore différentes
lois expliquant le mouvement des astres, la chute des corps, etc. Dans loptique de
Lakatos, les PRS évoluent. Lakatos distingue les PRS
progressifs et les PRS
dégénérescents.
Sera considéré comme progressif un PRS qui développe des théories qui permettent
dexpliquer un nombre toujours croissant de faits. Cependant, chaque PRS rencontre
sur son chemin des phénomènes quil ne parvient pas à expliquer ou qui
sopposent à ses théories. Cela ne conduit pas à labandon immédiat de ce
programme, mais à reformuler certaines théories existantes. Cependant, ce genre de
procédé na quun temps, et au fur et à mesure que de nouveaux faits
inexplicables apparaissent, le PRS devient dégénérescent, cest à dire de moins
en moins à même dexpliquer la réalité. Les théories du PRS seffondrent
les unes après les autres (quoique Lakatos nexclut pas quun PRS
dégénérescent redevienne progressif) et au bout du compte ne reste que le coeur qui
finit alors par être abandonné. La présentation de Lakatos ne va pas non plus à
lencontre de lanalyse de Popper, elle en constitue plutôt un complément.
Cependant, lanalyse de Lakatos est plutôt sociopsychologique que rationnelle. Les
scientifiques dans son optique ne sont pas des créatures rationnelles, ils rechignent à
abandonner un PRS, surtout lorsquaucune alternative napparaît. De ce fait, il
est tout à fait possible quun PRS dégénérescent soit toujours dusage parmi
les scientifiques.
Cest au bout du compte
Feyerabend
qui porte le coup le plus violent sur le réfutationnisme popperien. Dans "Against
Method", il montre que lapplication du critère de Popper est dépourvue de
sens. En effet, le critère lui-même est réfutable. En effet, sil est possible de
trouver un exemple historique dans lequel la science a progressé en utilisant une
théorie réfutée par lexpérience, alors cela signifie que le critère de Popper
est inapproprié; de ce fait, la réfutation est réfutable. Or le critère de Popper
na rien de nouveau, il était très couramment utilisé par les sophistes dans
lantiquité grecque (Feyerabend écrit ainsi que dire que Popper a inventé la
réfutation est aussi juste que daffirmer que Ronald Reagan a inventé la
métaphysique) et ce critère na jamais été utilisé par les scientifiques.
Feyerabend multiplie les exemples, on peut ici en citer un, celui de Galilée et de sa
défense de lhéliocentrisme (idée que la terre tourne autour du soleil). Galilée
avait utilisé la longue-vue (on ne sait pas sil lavait inventée ou achetée
à un inventeur) pour observer les astres et se fondait sur ce quil avait vu à
laide de cet instrument pour montrer que la terre tourne autour du soleil et non
linverse. Mais dans le même temps, Galilée avait à laide de sa lunette
établi des cartes de la face visible de la lune. Or ces cartes étaient fausses, et plus
fausses que les cartes que Kepler avait élaborées au même moment, sans lunette, et
alors même que Kepler souffrait dune infirmité qui faisait quil voyait mal!
Si lon avait alors appliqué le réfutationisme popperien, aurait-il fallu en
conclure que lexpérience montrait que la lunette de Galilée donnait des résultats
faux et que de ce fait le soleil tourne autour de la terre, ce que lexpérience
courante montrait quotidiennement ?
La réalité, cest que lexpérience ne permet pas du tout
dinfirmer des théories. En effet, toute expérience est critiquable, dépend de son
protocole de réalisation, et il est impossible de ce fait den tirer des conclusions
suffisamment valides pour infirmer une théorie complète. Une expérience contradictoire
avec une théorie peut en effet sexpliquer de tout un tas de façons différentes,
le fait que la théorie soit fausse nétant quune explication parmi un grand
nombre dautres. Et les scientifiques sont parfaitement conscients de ces limites.
Ainsi, en 1916, une expérience fut menée par des scientifiques à Eddington pour
vérifier la théorie de la relativité générale dEinstein. Rappelons que selon
cette théorie, un corps massif va courber lespace. Lexpérience
dEddington consistait donc à profiter dune éclipse solaire pour vérifier si
la masse du soleil déviait les rayons lumineux issus des étoiles (on ne peut faire cela
quau moment dune éclipse, car sinon la luminosité solaire empêche de voir).
Lexpérience a été menée et a vérifié les prévisions de la physique
relativiste. Jusque là, on se croirait dans lanalyse popperienne si
lexpérience navait pas fonctionné, cela aurait signifié que la théorie de
la relativité générale nétait pas valide.
Mais il faut aller un peu plus loin. Déjà, lorsquaprès
lexpérience on demanda à Einstein ce quil aurait pensé si
lexpérience navait pas vérifié sa théorie. Einstein a répondu
"jen demande pardon à Dieu, mais cela naurait rien changé, la théorie
est juste". Par ailleurs, aujourdhui on a de sérieux doutes sur la validité
de cette expérience dEddington qui na jamais pu être reproduite avec les
mêmes résultats. Il est probable que les scientifiques qui ont mené lexpérience
ont interprété de façon très exagérée leurs résultats afin quils concluent de
façon définitive à la validité de la théorie de la relativité. Parce quen
fait, à ce moment-là, la majorité des physiciens avaient déjà été convaincus;
lexpérience nétait quun bonus dans un consensus assez largement
établi. Il reste clair cependant quaucune expérience na jamais pu invalider
la théorie de la relativité.
Sil fallait encore dautres éléments montrant
limpossibilité pratique de réfuter des théories par lexpérience, il est
possible de se référer à la physique contemporaine. Rappelons déjà que la physique
contemporaine est fondée sur une contradiction Ses deux piliers sont en effet la physique
relativiste et la physique quantique, qui sont, telles quelles sont aujourdhui
exprimées, mutuellement incompatibles, bien quaucune nait été invalidée
par lexpérience. et cela ne pose aucun problème cela conduit les physiciens à
rechercher de nouvelles analyses (comme par exemple la théorie des cordes) tout en
sachant que celles-ci ne pourront pas donner lieu à des expériences avant longtemps, si
même elles le peuvent un jour. Car la physique se trouve face à un problème simple
aujourdhui les travaux qui sy réalisent ne peuvent pas encore donner lieu à
des expériences, dans la mesure ou cela exigerait des accélérateurs de particules
dune puissance qui nest pas encore atteinte. Ainsi, lécrasante
majorité des physiciens est persuadée de lexistence du boson de Higgs, particule
utilisée dans tous les travaux contemporains, mais aucun accélérateur na permis
de mettre en évidence cette particule. On peut toujours dire quà terme, on
construira un accélérateur permettant cette vérification. Mais en attendant, cela
nempêche pas les physiciens davancer et de travailler, même sans
expérience. Et il est tout à fait possible quun jour, il ne soit plus possible de
mener des expériences. Le coût des accélérateurs de particules est tel quil est
de plus en plus difficile de financer leur construction. Cela sonnerait-il la fin de la
science physique? Certainement pas. Les physiciens continueront alors à faire ce
quils font déjà, cest à dire faire des recherches sans expériences
permettant de réfuter ou non les théories.
3 - Avec tout ça, je ne comprends plus ce qui est de la science et ce qui nen est pas, moi...
Résumons ce que nous
venons de voir. Comme le montre Feyerabend, le critère de réfutation par
lexpérience de Popper est sans doute très séduisant intellectuellement, mais en
pratique il ne vaut rien. Parce quil ne permet pas de progresser dans les sciences,
dans la mesure ou de grandes avancées ont été atteintes en faisant exactement
linverse de ce que Popper préconise. Et parce que lexpérience en soi
nest pas assez fiable pour justifier quelque chose daussi important que
labandon dune théorie. En dautres termes, les scientifiques
nutilisent pas le critère de Popper, et ils ont bien raison. Mais alors, la
question, cest quel est le bon critère qui permet de distinguer ce qui est une
science et ce qui ne lest pas?
La réponse de Feyerabend, cest quil ny a pas de
critère qui permette de faire la différence. Que chercher à faire la différence entre
science et non science na aucun intérêt. Avec ce genre didée, inutile de
dire que Feyerabend sest attiré des critiques particulièrement virulentes. Blaug
par exemple écrit dans son ouvrage que Feyerabend, en sopposant à la définition
de la bonne méthodologie scientifique, "veut remplacer la philosophie des sciences
par la philosophie du flower power" ce qui nest pas un compliment.
"Lanarchisme méthodologique" prôné par Feyerabend aboutirait en effet
à mettre sur le même plan lastrologie, les prévisions à partir dentrailles
de poulet, et la physique ou la biologie! On comprend lénervement dauteurs
qui consacrent un livre entier à la définition de la scientificité, face à un
Feyerabend qui leur explique que la question est totalement dépourvue dintérêt...
Mais ce genre de critique tombe un peu à plat. Feyerabend ne
soppose pas aux méthodes scientifiques, il soppose à leur hégémonie. A
quoi bon chercher à déterminer de bons critères pour qualifier la science, si le seul
résultat de lopération est de mettre à la corbeille des pans entiers de savoir en
se fondant sur des critères qui nont de logique que formelle? Ce qui caractérise
les sciences, cest dans son optique lactivité scientifique, la recherche. Et
celle-ci a produit des résultats immenses sans jamais se préoccuper dune bonne
méthodologie qui sappliquerait à toutes les disciplines. Les critères employés
par chaque discipline sont le résultat du travail des scientifiques, dune
élaboration qui a pris plusieurs siècles. Par exemple, la physique nest pas
devenue plus scientifique en abandonnant lastrologie de son champ de recherche (dire
cela reviendrait à dire que Newton nétait pas un scientifique, ce qui est
ridicule). Simplement, lactivité des physiciens et leur recherche permanente de
modèles permettant de comprendre la réalité les a conduit à abandonner ce champ de
recherche peu productif, et à adopter des critères qui sont propres à leur profession
pour juger des résultats des différentes recherches. Ces critères doivent-ils être
généralisés à toutes les disciplines? En aucun cas. Chaque discipline a un objet
propre, des problèmes spécifiques, et les spécialistes font émerger des méthodologies
et des modèles en fonction de leurs besoins. Ces méthodes, qui sont propres à chaque
champ de recherche, sont le fruit de siècles de réflexion, et ont produit des résultats
qui forment la science moderne. Pourquoi vouloir modifier ce qui fonctionne en cherchant
à imposer des critères imposés de lextérieur qui ne sont que des barrières à
la connaissance?
Si la physique a été conduite à donner à lexpérience un
statut important, cest parce que son domaine sy prête bien. Il est en effet
possible de se livrer à toutes sortes dexpérimentation, de répéter les
expériences, en physique. Mais considérons un domaine comme la biologie, et la théorie
Darwinienne. Il nest là pas possible de se livrer à des expérimentations, étant
donné que lévolution des espèces porte sur des périodes de temps très longues.
On ne dispose en la matière que de preuves indirectes, il est impossible de mener une
expérience discriminante. Est-ce une raison pour devenir créationniste, ou pour dire que
le Darwinisme est non scientifique? En astronomie, il nest pas non plus possible de
mener des expériences pleinement satisfaisantes les savants ne disposent que de ce que la
nature leur laisse à voir. Il paraît pourtant bien difficile de qualifier
lastronomie de non scientifique.
4 - Bon, et léconomie, dans cette histoire?
On y arrive! Comme nous lavons vu plus haut, les économistes, désireux de se doter
dune petite aura scientifique, ont adopté le critère Popperien. Le problème,
comme nous venons de le voir, cest que ce critère ne sapplique déjà pas à
une science aussi rigoureuse que la physique. Alors, que dire de léconomie!
En matière économique, il nest possible de procéder à des
expériences que dans une toute petite minorité de domaines. La plupart du temps, ce dont
disposent les économistes, un peu comme les astronomes, cest de ce que la réalité
leur donne. Le problème, cest quil est assez difficile dans cette réalité,
disoler les phénomènes pour vérifier des causalités. Si le chômage baisse,
est-ce parce que la politique monétaire a changé? Ou est-ce la politique budgétaire?
Grâce au progrès technique? Pour des raisons psychologiques, les entrepreneurs devenant
plus optimistes? En pratique, ces phénomènes se produisant souvent en même temps, il
est difficile den isoler un parmi dautres, ce qui fait que les faits sont
difficiles à interpréter. Il est possible de se livrer parfois à des expériences en
laboratoire, par exemple lorsquon cherche à comprendre le comportement individuel.
Mais ce genre dexpérience est elle aussi difficile à interpréter à cause du
matériau étudié, les individus. Si on met une claque à un photon (si lon peut
dire) celui-ci réagira toujours de la même façon, par un mouvement sur lequel il
na aucun moyen daction. Par contre, si on met une claque à une personne,
léventail de ses réactions est nettement plus vaste. Il peut décider de
répliquer, de se mettre à pleurer, etc. Par ailleurs, si on cherche à répéter
lexpérience, il est fort probable que lindividu, instruit par le passé,
cherchera à léviter! De ce fait, les résultats obtenus au cours de ce genre
dexpérience sont nettement moins généralisables que les résultats des sciences
naturelles.
Est-ce à dire que la réalité est impossible à interpréter, et que
les économistes sont condamnés à ne jamais pouvoir prévoir les phénomènes? Bien sûr
que non. La preuve en est que les économistes parviennent à des résultats et sont
capables délaborer des prévisions (par exemple, on peut prévoir, avec une marge
derreur minime, le taux de croissance de lannée qui vient). Simplement,
ceux-ci nont pas le caractère duniversalité, valables en tous temps et en
tous lieux, des résultats que lon peut obtenir dans les sciences naturelles. Par
ailleurs, la prédiction ne constitue quune part du travail déconomiste
Expliciter des phénomènes a posteriori, décrire des mécanismes conduisant aux faits
réalisés, même si cela ne permet pas la prévision, est tout aussi important en
économie que le travail de prévision. Mais tout cela fait que léconomie se
présente plus comme une boîte à outils, un ensemble de théories parfois un peu
hétéroclite et contradictoires, certaines plus valides que dautres à un moment
donné, que comme un cadre parfaitement unifié. Mais il apparaît aussi quau bout
du compte, les points de consensus entre économistes sont nettement plus nombreux que les
oppositions frontales. Une controverse enflammée comme le débat entre monétaristes et
Keynésiens a finalement abouti à un consensus, la discipline dans son ensemble prenant
ce que chaque doctrine avait de mieux à apporter.
5 - Linfirmationnisme, inutile et nocif pour léconomie
Quel intérêt peut
alors avoir le critère de Popper en économie? Son application peut servir à deux
objectifs. Le premier, cest de faire le tri entre les différentes théories, pour
éliminer celles qui sont moins "scientifiques" que les autres. Le second,
cest dinciter les économistes à privilégier les études empiriques, à plus
les utiliser dans leur travail quils ne le font. Mais ces objectifs ont-ils
eux-même un intérêt, et le critère Popperien est-il à même des les servir?
La réponse est non. Concernant le premier objectif, le tri parmi les
théories économiques, on peut dans un premier temps se demander sil présente un
quelconque intérêt. Après tout, la réalité économique étant changeante, il est tout
à fait possible que des intuitions du passé, peu réalistes à un moment donné, le
redeviennent et soient alors de nouveau appropriées. Après tout, à de rares exceptions
près, labandon complet dune théorie est rare, que ce soit en économie ou
dans les autres disciplines. La physique Newtonienne conserve tout son attrait et est tout
à fait satisfaisante pour décrire les mouvements des corps (pour lancer des fusées dans
lespace, elle suffit largement). Certes, certaines hypothèses ont été
abandonnées (cas de léther) mais certaines ont été abandonnées puis reprises
(voir lexemple de la constante cosmologique). Les sciences, comme les maisons, ne
saméliorent que rarement en rasant les fondations... Et en économie, on voit mal
quelles théories mériteraient labandon. En étant strictement Popperien, il ne
resterait probablement rien... On pourrait alors imaginer une sorte de Popperisme
"adouci" qui conduirait à privilégier les théories économiques qui acceptent
le test des faits. Cela conduirait par exemple à abandonner un champ théorique comme la
nouvelle macroéconomie classique (comme Blaug le conseille, voir
ce texte,
et son incapacité à prouver linefficacité de la politique économique), ou la
théorie marxiste face à la non décroissance du taux de profit, ou des auteurs comme
Veblen, incapables de proposer autre chose que des concepts vagues comme l
"affluent society". Voire même tant quà faire toute la théorie de
léquilibre général fondée sur les hypothèses irréalistes. Lennui,
cest quon se demande en vertu de quoi on décide de porter lanathème
sur telle théorie plutôt que sur une autre. Faut-il renoncer à lire la Théorie
Générale de Keynes, fondée sur une fonction de consommation fausse ? Faut-il encore
lire Smith et ses trois théories de la valeur contradictoires? La réalité, cest
que ce genre de sélection est totalement arbitraire, et quun pseudo-désir de
scientificité ne sert alors quà camoufler des préjugés dépourvus de fondement
rationnel.
Parce que les théories, mêmes lorsquelles sont fausses la
plupart du temps, conservent leur intérêt. Lhypothèse danticipations
rationnelles, pour ne citer quelle, a permis de réaliser de nombreux progrès en
matière de modélisation et détude des conséquences des politiques économiques.
Dans certains cas, cette hypothèse peut fort bien être encore utile. Et aucun
économiste sérieux aujourdhui ne prend cette hypothèse pour autre chose que ce
quelle apporte véritablement à la compréhension des phénomènes économiques.
Par ailleurs, il ne faudrait pas croire que les économistes sabstiennent de
procéder à des sélections entre les théories. A un moment donné, il y a un large
consensus dans chaque branche de léconomie sur les bonnes théories à utiliser. Ce
consensus est sans doute critiquable, mais il évolue, et cest précisément cette
évolution qui caractérise lamélioration du raisonnement économique. Cest
ce qui fait que si lon regarde lévolution des différentes branches de
lanalyse économique sur le long terme, on constate un progrès régulier de
lanalyse. Si lon regarde de près, on verra à chaque moment des querelles
dego, des préjugés; mais sur le long terme cest ainsi que la science avance.
Là encore, les débats en matière de politique macroéconomique constituent un bon
exemple La critique du système classique par Keynes a permis de mettre en évidence la
possibilité de politiques contracycliques; la controverse monétaristes-keynésiens a
permis den comprendre les effets et les limites, affinant lanalyse des effets
des politiques monétaires et budgétaires, prenant en compte le rôle des anticipations,
de préciser la fonction de consommation, etc. Pour un autre exemple du processus par
lequel les discussions et débats parfois ésotériques conduisent à lamélioration
de la connaissance économique, en économie internationale, on peut se référer à
louvrage de
D. Irwin.
Vouloir contraindre ce processus en imposant un critère dune
rationalité discutable conduirait plutôt à amplifier un défaut actuel des économistes
celui de négliger les apports des anciens économistes. Car comme ils ne disposaient pas
des outils techniques actuels, sans parler des données statistiques, ceux-ci ne
présentaient que rarement leurs travaux sous la forme de jolis modèles quantitatifs bien
testables, mais plutôt sous une forme littéraire ou il est difficile de distinguer
clairement ce qui est dit. Par contre, ils compensaient ce défaut par des façons
originales de traiter les problèmes, et par une bonne connaissance des institutions et
des conditions dans lesquelles ils sexprimaient. Et les économistes
daujourdhui auraient tout intérêt à sinspirer des intuitions de leurs
prédécesseurs, qui couplées aux techniques plus contemporaines permettent des progrès
conséquents. On ne compte plus les découvertes économiques contemporaines qui ne sont
en fait que la reformulation didées déconomistes passés. Que ce soient le
rôle des rendements croissants (traités par Marshall), la théorie de la croissance
(intuition de Schumpeter) la nouvelle économie internationale (traitée de façon
littéraire par Hecksher ou Ohlin) voire même léquivalence ricardienne,
"redécouverte" par Barro en 1974... Le désir de "faire science"
conduisant à abandonner tout ce qui nest pas conforme au moule Popperien peut être
singulièrement nuisible à la connaissance.
Il est donc douteux que le critère de scientificité Popperien apporte
quoi que ce soit aux choix déjà effectués par les économistes. Il risque plutôt
damplifier de mauvaises tendances.
Lautre attrait éventuel de ce critère réside dans
laccent quil met sur les études empiriques. Or lun des reproches
souvent fait à léconomie porte sur sa tendance à privilégier les modèles
purement formels, aux hypothèses irréalistes et à faible pertinence pratique. Dans ce
sens, le rôle central donné par le critère de Popper à lexpérience inciterait
les économistes à faire plus defforts en matières détudes empiriques pour
tester leurs théories.
Le problème, cest que lexcès de formalisme qui a pu être
rencontré en économie est venu au départ, de la volonté de singer les sciences
exactes, au premier rang desquelles la physique. Sachant cela, imposer aux économistes
des critères pour rendre leur discipline plus "scientifique" risque
daboutir au résultat inverse de celui qui est souhaité, en conduisant ceux-ci à
retomber dans le formalisme.
Par ailleurs, la critique de lexcès de formalisme en économie
commence à dater. Il est clair que la période des années 50 aux années 70 a vu se
multiplier les modèles très formalisés, avec les travaux sur léquilibre
général prenant une place prépondérante dans la discipline, et tendant à imposer ses
règles à tous les domaines de léconomie. Mais cette hégémonie était tout à
fait justifiée, tant la théorie de léquilibre général paraissait riche de
promesses. Le programme consistait quand même à construire une théorie pure capable de
décrire toute léconomie, en se fondant sur les comportements individuels. Ce
projet na pas pu être réalisé, mais entre-temps de nombreux progrès ont été
réalisés. Au delà de la théorie de léquilibre général elle-même, les études
ont porté sur ses conditions de réalisations, sur les processus conduisant à
léquilibre, etc. Elles ont aussi permis de donner à la macroéconomie des
fondements microéconomiques plus solides que ceux qui existaient auparavant, et de
fournir des outils danalyse à toutes les branches de lanalyse économique.
Même si ces résultats sont en deçà de ce quon pouvait espérer (mais après
tout, avoir montré que les conditions de réalisation dun équilibre général sont
impossibles à réunir est un résultat en soi) ils sont tout de même notables. Par
ailleurs, lhégémonie du formalisme en économie aura été de courte durée. Si
lon regarde tous les travaux de recherche depuis le début des années 80, on
constate un retour en force des études empiriques servant de base à lélaboration
des théories. Au point que lon constate parfois un excès inverse, celui de
privilégier les études empiriques et les résultats de régressions statistiques sans
élaborer de théorie! Par ailleurs, si lon regarde la liste des prix Nobel
déconomie depuis que ce prix existe, on constate que celle-ci comprend assez peu
dauteurs ayant consacré leurs travaux à la théorie sans songer aux aspects
empiriques. Si lon excepte peut-être Samuelson, Debreu, et Allais, les théoriciens
purs sont absents du palmarès, ce qui montre assez bien que le goût des économistes
pour la théorie purement formelle nest pas si prononcé. Un grand nombre
dentre eux sont des néoclassiques, pourra ton rétorquer. Peut-être. Mais
néoclassique nest pas synonyme de formalisme exagéré.
Ce que montre létat actuel de la recherche en tout cas,
cest que le besoin dempirisme est nettement moins important aujourdhui
quil na pu lêtre. Parce que les économistes ont changé (comme
la dit fort justement Samuelson, "funeral by funeral, science makes
progress") et que les critères dévaluation, du moins pour les travaux de
premier plan, ont évolué. Et la théorie de léquilibre général na plus le
statut dominant quelle a pu connaître dans le passé. Il reste bien quelques
scories, mais le mouvement est bien visible. Les économistes de premier plan
aujourdhui sont des Stiglitz, Romer, Krugman, Bhagwati, (la liste nest pas
exhaustive) cest à dire des gens qui font à la fois de la théorie de grande
qualité sans en méconnaître les limites et refuser les études empiriques.
De ce fait, quel besoin de sembêter avec des critères de
"scientificité" extérieurs et inappropriés? Un critère comme celui de Popper
nest pas à même dapporter de réponses aux problèmes des économistes. Il
est de plus nocif sil conduit à laisser de côté pour des raisons injustifiées
des théories, avant que celles-ci ne puissent faire leurs preuves, sous prétexte
dune scientificité qui na rien de scientifique.
6 - Léconomie, une science sans prestige.
Ainsi, la question de
la scientificité de léconomie ne se pose pas. Ce qui caractérise toutes les
sciences, cest le travail des praticiens, le développement doutils
intellectuels qui permettent daméliorer la compréhension que lon a du réel,
de dépasser les simples perceptions de nos sens. En ce sens, léconomie na
rien à envier (ni de leçons à donner dailleurs) aux autres disciplines
scientifiques. Elle se débrouille face à un objet complexe et retors, les comportements
humains dans la lutte contre la rareté, et ne le fait pas si mal.
Il nen reste pas moins que la discipline a mauvaise réputation.
Depuis Carlyle qui au début du XIXème siècle la baptisée "science
lugubre" (dismal science) les critiques nont pas manqué envers les
économistes, et sont toujours aussi virulentes aujourdhui.
A cela, on peut trouver plusieurs raisons. La première, cest que
léconomie touche de près la vie de chacun de nous, et quen cela elle fait
lobjet dune demande sociale dexplications et de solutions assez forte.
Demande quelle est souvent bien en peine de satisfaire. Le message des économistes
est souvent celui de Cassandre, peu à même de susciter lenthousiasme, et douchant
plutôt les aspirations de chacun à une vie meilleure. Lune des phrases
préférées des économistes nest-elle pas "theres no such thing as a
free lunch"?
Par ailleurs, la spécificité de léconomie fait que celle-ci
est amenée à se tromper, et que ses erreurs ont des conséquences. La forte demande
sociale conduit également souvent les économistes à mélanger ce qui ressort du domaine
strict de leur expertise avec des opinions qui leur sont personnelles, et à affirmer
lun et lautre de façon également péremptoire. Milton Friedman a
certainement des choses intéressantes à dire en matière de politique monétaire; mais
on nest pas obligé daccorder le même crédit envers ses opinions favorables
au marché libre et au gouvernement minimal. Le problème vient de ce que ses analyses en
matière de politique monétaire sont en partie assises sur ses opinions personnelles, ce
qui ne facilite pas la tâche de qui cherche à démêler son discours. On pourrait en
dire autant de tous les économistes sexprimant publiquement; tôt ou tard, ils sont
amenés à sortir de leur champ de compétence. Lennui, cest que si les
économistes savent faire la différence, cest nettement plus difficile pour le
grand public. Par ailleurs, les économistes ont un peu trop souvent la déplaisante manie
de manquer de modestie, et de sexprimer publiquement à tort et à travers sur des
sujets sur lesquels leur expertise personnelle nest que limitée en se basant sur la
position que leur statut déconomiste leur confère. Ce travers nest pas
spécifique aux économistes Voir les physiciens spécialistes des matériaux composites
sexprimer sur les bienfaits de lénergie nucléaire, ou dans un genre plus
léger, Johnny Hallyday interrogé sur le vote sur le referendum sur lUnion
européenne en 1992 (il avait répondu quil sen moquait et préférait sa
copine et sa moto, ce qui témoigne dun bon état desprit). Mais il prend de
grandes proportions en économie, ou lon peut voir par exemple un spécialiste connu
pour avoir résolu le problème de léquilibre général par la méthode des surplus
sexprimer ad nauseam sur léconomie internationale ou la question des flux
migratoires, sujets sur lesquels son expertise professionnelle est nettement plus ténue.
Il faut ajouter à cela des problèmes spécifiques. Pour
léconomie, la période récente aura été celle des désillusions. Les
économistes ont pu penser, pendant les années 50-60, avoir atteint une sorte de nirvana,
une situation dans laquelle les politiques type stop and go permettait de mettre fin aux
fluctuations, quil ny avait plus vraiment de problème qui ne soit résolu ou
en voie de lêtre. La crise des années 70 a de ce point de vue été aussi une
crise pour la pensée économique qui a du abandonner plusieurs de ses certitudes, rendant
larrogance des temps passés difficile à supporter et discréditant par effet de
balancier la profession.
Lautre problème de léconomie, cest le flou qui
entoure la compétence déconomiste. Un peu comme la biologie, léconomie a
ses créationnistes, de pseudo-experts qui sautoproclament économistes, qui mettent
trois morceaux doffre et de demande, de chiffres faux, et une bonne dose de
préjugés politiques, dans leur discours, et qui envahissent le débat public. Il est
bien difficile pour le grand public de faire la différence, tant le qualificatif d
"économiste" est galvaudé et peut signifier nimporte quoi, du chercheur
unanimement respecté par ses pairs (mais qui peut fort bien parler dun sujet auquel
il ne connaît rien de plus quun médiocre étudiant de première année)
jusquau spécialiste de stratégie militaire qui parle déconomie, en passant
par le parfait crétin qui croit tout comprendre mais ne comprend rien.
Ces différents éléments font que le discours économique est source
de multiples déceptions pour qui essaie de le suivre. Mais il faut savoir aller au delà.
Car léconomie, malgré ses défauts, reste une science, et une belle science, qui
peut déjà apporter beaucoup à la compréhension du monde, et qui est fort loin
davoir épuisé toutes ses possibilités.
Pour en savoir plus, on peut se référer à
louvrage de référence en matière de méthodologie économique, celui de Mark
Blaug,
"La
méthodologie économique", qui constitue une défense de lutilisation du
critère de Popper en économie. On peut aussi lire louvrage de C. Mouchot
(méthodologie économique, Hachette) même si ce dernier ouvrage reproduit les travers
trop souvent rencontrés en matière économique dans le débat français. Critiquant
lidée de Blaug selon laquelle léconomie devrait pour être une science
suivre le critère de Popper, il en arrive à nier lexistence même de
léconomie, qui ne serait quune composante du discours politique, incapable
dexprimer quoi que ce soit de spécifique. Vous laurez compris, le texte que
vous venez de lire se situe dans une position critique par rapport à ces deux auteurs.
La critique de Feyerabend du critère de scientificité de Popper est
l'objet de son ouvrage "contre la méthode" qu'on peut trouver en
édition
de poche. Pour une introduction facile à lire de la pensée de Feyerabend, on
préférera ses "
Dialogues
sur la connaissance" au Seuil.