Mon prof m’a dit que MV était toujours égal à PY :
il serait pas un peu endoctriné ?
S’il n’a dit que ça, la réponse est non. Voici pourquoi...
PY, ce n’est rien d’autre que le PIB nominal. C’est la valeur
en euros courants des biens et services finis produits dans l’année
dans le pays. Pour faire des comparaisons avec les années précédentes,
on peut toujours le décomposer en un indice des prix P et un indice des
quantités Y. Quelles que soient les imperfections du calcul de P et de
Y, on s’arrange toujours pour que le produit des deux soit égal
au PIB nominal, qui lui est une grandeur qui existe.
M, c’est la masse monétaire. Là encore, il s’agit
d’une grandeur qui existe. En fait, il existe plusieurs définitions
de la masse monétaire (M1, M2, M3), qui donnent donc des valeurs différentes
de M. Mais peu importe, le calcul reste vrai quelle que soit la définition
retenue. Pour fixer les idées, disons que c’est la somme des pièces,
des billets et des comptes en banque en circulation (c’est à dire
M1)
Venons-en à la question : qu’est ce qui garanti qu’en multipliant
M par V, qui est la vitesse de circulation de la monnaie, j’obtiendrai
un chiffre égal à PY ?
Tout simplement la définition de V !
Définition : V = (PY)/M
On définit V comme le rapport entre 2 grandeurs qui existent. Donc V
existe, et on est sûr de ne pas se planter en écrivant :
MV = PY
Remarquez que vous pouvez toujours vous amuser à faire ça avec
n’importe quel couple de grandeurs qui existent. Exemple : votre poids
(A) et votre consommation annuelle de meringues au chocolat (B). Vous définissez
C comme égal au rapport A/B, et vous l’appelez « coefficient
de transformation de la meringue en charge pondérale ». Vous pouvez
alors écrire sans vous planter : BC=A
Hep là ! Pourquoi donnez-vous à ce rapport (PY)/M le nom
de « vitesse de circulation de la monnaie » ?
Ah oui, je l’attendais celle là ! Bon, alors là, il faut faire
un petit point d’histoire de la pensée. En fait, la formule quantitative
a été formulée par Irving Fisher (1867-1947) de manière
un peu différente de la notre :
MV=PT
La différence visible, c’est que Y est remplacé par T, qui
désigne le nombre de transactions effectuées dans l’année
dans l’économie, c’est à dire le nombre de fois où
quelqu’un échange quelque chose avec quelqu’un d’autre
contre une somme d’argent. Du coup, vous l’avez deviné, P
ne désigne plus le niveau général des prix, mais la valeur
moyenne des transactions effectuées. Le produit PT, égal a la
valeur de l’ensemble des transactions, est donc supérieur au PIB
nominal PY (prenez un meunier qui vend pour 50€ de farine à un boulanger,
lequel vend pour 100€ de pain à ses villageois. En terme de transactions,
ça fait 150€, alors qu’en terme de valeur ajoutée,
ça ne fait que 50+(100-50) = 100€).
Du coup, V est également plus grande qu’avant, puisque M désigne
toujours la même masse monétaire.
Etant donné la grande difficulté d’évaluer P et T,
cette formulation est moins pratique que celle avec PY. Mais elle s’interprète
plus facilement. En effet, supposons que PT vaille 10M€ et que la masse
monétaire M soit de 1M€ (si vous voulez visualiser, vous pouvez
imaginer qu’il y a, en circulation, 1 million de pièces de 1 euro).
Question : comment a-t-on pu échanger 10M€ alors qu’il n’y
en avait qu’1M en circulation ? La réponse coule de source : pour
payer le meunier, notre boulanger a utilisé, en partie, les euros que
lui avaient donnés les villageois en échange de son pain. Autrement
dit, un même moyen de paiement peut servir à plusieurs transactions
économiques.
De manière plus précise, avec M=1M€ et PT=10M€, on peut
dire qu’en moyenne, un euro a servi à réaliser 10 transactions.
Il a changé 10 fois de main. Il a donc circulé à une vitesse
de 10 échanges dans l’année. On comprend donc bien la signification
de V=(PT)/M
Maintenant, revenons à notre équation avec PY. Dans ce cas, le
rapport (PY)/M est un peu plus difficile à interpréter. Supposez
que le PIB nominal soit de 3M€ et la masse monétaire toujours de
1M€. Cette fois-ci, V ne vaut plus que 3. Mais que représente ce
3 ? Là c’est plus dur. Mais d’un autre côté,
tant mieux, ça nous donnera l’occasion de réfléchir
un peu à la nature de la monnaie.
A vue d’œil, comme ça, la monnaie est un truc qui ne sert
à rien : ça ne se mange pas, ça ne permet pas de se vêtir,
de se loger, de se déplacer, etc. A chaque fois que quelqu’un échange
de la monnaie contre autre chose, on serait donc tenté de croire que
l’un des deux se fait arnaquer. Mais en fait, comme la monnaie peut toujours
s’échanger, finalement, l’arnaque n’est pas si grave,
puisque l’arnaqué (celui qui a accepté la monnaie contre
autre chose) peut facilement devenir arnaqueur.
A y voir de plus près, on se rend donc compte que la monnaie rend des
services. Le principal étant celui d’être un moyen d’échange
universel, qui évite les coûts de transactions d’un système
de troc généralisé. En plus, la monnaie est un moyen pas
trop mauvais de conserver un pouvoir d’achat. Bon, de ce point de vue
là, la monnaie est quand même moins bien qu’un compte rémunéré,
mais elle a, en contrepartie, l’avantage de la liquidité.
Donc si on considère que la monnaie rend des services, on peut penser
que d’un certain point vue, c’est un bien comme les autres : les
agents économiques souhaitent en détenir en stock un certain montant
pour bénéficier de ces services qu’elle rend (d’ailleurs
je parie que vous qui lisez ces lignes avez quelques pièces qui stagnent
dans la poche de votre jean alors que la même somme pourrait vous rapporter
quelques choses si elle était placée sur votre PEL. Si si, je
les vois d’ici).
Qu’est-ce qui détermine la quantité de monnaie que les agents
économiques désirent détenir ? Vaste question qui n’a
pas encore reçu de réponse définitive, mais on peut dire
qu’une partie de cette demande de monnaie est déterminée
par le PIB nominal PY : plus PY est grand, plus les gens dépensent d’euros
(on leur souhaite que ce soit surtout Y qui soit grand et pas P, mais c’est
une autre histoire), et donc plus ils ont besoin de monnaie.
Si on observe que V est assez grand, cela signifie qu’il y a assez peu
de monnaie en circulation. Donc, les agents économiques en gardent assez
peu sur eux, par rapport à la valeur nominale des richesses produites.
S’ils la gardent assez peu, cela veut dire que dès qu’ils
en ont, ils s’en débarrassent vite, en achetant quelque chose d’autre
ou en la plaçant sous forme non monétaire (par exemple en achetant
des obligations).
Donc s’ils s’en débarrassent vite, on peut dire que la monnaie
circule vite, ce qui rend légitime d’appeler V « vitesse de
circulation de la monnaie ». En effet, si, en soit, le rapport (PY)/M ne
représente rien de tangible, on est sûr que si ce rapport augmente,
alors la monnaie circule plus vite.
Récapitulons. En fait, si MV=PY, c’est uniquement
parce que V=(PY)/M. Si ce n’est que ça, cette équation présente-t-elle
le moindre intérêt ?
En fait, cette équation devient intéressante
dès lors qu’on formule des hypothèses sur les variables qui
la composent. Mais alors, du coup, ce qu’elle nous apprend cesse d’être
toujours vrai.
L’équation MV=PY est au cœur le la théorie quantitative
de la monnaie.
Cette théorie appartient à la tradition « dichotomique »
en économie, qui considère qu’il n’y a pas d’interférence
entre la sphère monétaire et la sphère réelle. Autrement
dit, le revenu réel dépend des ressources de l’économie
et de la technologie, mais pas de la masse monétaire en circulation.
Donc, première hypothèse : Y est exogène (Y ne dépend
pas des autres variables de l’équation). On reviendra là-dessus
plus tard.
Seconde hypothèse : V est constante. Cette hypothèse est empiriquement
fausse, mais les héritiers de la théorie quantitative s’affranchissent
aujourd’hui de cette hypothèse. Nous, on la conserve car elle est
bien pratique.
Troisième hypothèse : M est également exogène. Cela
veut dire, en général, qu’elle est contrôlée
par la banque centrale. En fait, cette hypothèse est largement exagérée,
puisque la masse monétaire dépend des crédits accordés
par les banques commerciales à leurs clients, et la demande de crédits
est assez fluctuante. Les banques centrales ne peuvent donc contrôler
qu’en partie la masse monétaire. Selon les institutions bancaires,
M peut également varier en fonction des mouvements de capitaux internationaux.
Ces hypothèses étant faites, recollons les morceaux :
Puisque V et Y, par hypothèses, ne dépendent pas de M et que l’équation
MV = PY doit rester vraie, que se passe-t-il si M augmente, suite, par exemple,
à une politique monétaire expansive ?
La réponse est que pour rétablir l’égalité,
P va augmenter d’un même pourcentage que M.
Pour être plus précis, on peut établir la relation suivante
: P = GM + GV - GY
Où P est l’inflation (le taux de croissance de P) et où
Gmachin est le taux de croissance de machin. (Les matheux comprennent qu’il
s’agit de taux de croissances instantanés, obtenus en dérivant
par rapport au temps le logarithme de MV et de PY. Les autres s’en foutent
probablement : ils ont bien tord !)
Puisque M est stable, GV=0, et donc on se retrouve avec une inflation qui est
égale au taux de croissance de la masse monétaire moins le taux
de croissance du PIB réel, qui s’explique par l’augmentation
des ressources et le progrès technique, comme dans
le
modèle de Solow.
P = GM - GY
On est là dans une optique de prévision de l’inflation.
Remarquez qu’on peut renverser la problématique en se plaçant
du point de vue de la banque centrale, qui, observant GY et ayant un objectif
d’inflation de Pobj se donnerait comme règle d’augmenter
la masse monétaire de :
GM = Pobj + GY
Au fait, si l’on fait l’hypothèse que C,
le coefficient de transformation de meringues en charge pondérale, est
constant et que votre poids idéal est Ai, il vous faut manger une quantité
de meringues B=Ai/C (enfin, la pertinence de l’hypothèse reste encore
à vérifier).
Finalement, cette équation prouve l’inefficacité de la politique
monétaire ?
Pas du tout ! Nous avons fait l’hypothèse dichotomique
que M n’influençait pas Y, mais nous ne l’avons pas démontré.
D’ailleurs, on peut donner une version plus « light » (moins
dichotomique) de la théorie quantitative, en faisant l’hypothèse
que la politique monétaire a une influence sur Y.
Par exemple, on peut écrire que GY dépend en partie des capacités
productives et en partie de la politique monétaire : GY = a + bGM0,5
avec a et b positifs.
Dans ce cas, l’effet inflationniste de la politique monétaire est
moindre, puisqu’une partie de l’augmentation de M s’est répercutée
sur Y.
P = GM – a – bGM0,5
On se rapproche là d’une vision plus keynésienne de l’économie,
encore que les monétaristes reconnaissent généralement
qu’à court terme la politique monétaire peut avoir des effets
sur le PIB réel.Toutefois, méfions-nous de ce modèle simple qui implique que
le revenu réel est infini si la masse monétaire est augmentée
à l’infini. Z’imaginez le nombre de repas gratuits avec un
PIB infiniment grand ?
Donc en fait, cette équation ne dit rien d’autre que
ce qu’on lui fait dire ?
En gros, c’est à peu près ça : la question de savoir
si M a ou pas une influence sur Y ne trouve pas de réponse dans la formule
quantitative. Pour répondre à cette question, il faut se tourner
vers d’autres modèles macroéconomiques (
IS-LM,
la synthèse classico-keynésienne, …).
Disons qu’au-delà de son rôle dans l’histoire de la
pensée, l’équation MV=PY a surtout un intérêt
pédagogique. Elle nous habitue à réfléchir sur ces
agrégats étranges que sont la masse monétaire, le niveau
général des prix et le PIB réel. Elle a aussi le mérite
de présenter les questions monétaires sous une forme très
simple : quand la masse monétaire augmente, si V n’est pas affecté,
alors, forcément, cette augmentation doit se répercuter soit sur
P, soit sur Y, soit un peu sur les deux. C’est bon, parfois, d’avoir
un schéma simple pour réfléchir sur un phénomène
compliqué. Le petit hic est que la relation d’inspiration quantitativiste
M=>PY est privilégiée au détriment de la relation inverse,
PY=>M (défendue notamment par Kaldor), selon laquelle la monnaie est
au moins en partie endogène à l’activité économique.
En ce qui concerne la règle de politique monétaire que nous avons
déduite de cette équation, elle correspond schématiquement
à ce qu’ont appliqué au début des années 80
les banques centrales influencées par le monétarisme de Milton
Friedman. Le problème, qui s’est posé notamment aux USA
lorsque Paul Volcker dirigeait la fed, c’est que la demande de monnaie
a augmenté plus vite que prévu. Si bien que l’offre de monnaie
est devenue trop étriquée : il s’en est logiquement suivi
une flambée des taux d’intérêt (qui est le prix de
la liquidité : quand la liquidité est rare, elle est chère)
et une stagnation économique. Le bon côté des choses est
que l’inflation des années précédentes était
enfin vaincue.
Toujours est-il qu’aujourd’hui, les banques centrales ont, en pratique,
pris acte de l’instabilité de la demande de monnaie, et ne cherchent
plus à contrôler la masse monétaire, mais privilégie
l’action directe sur les taux d’intérêt (cf.
la
règle de taylor)